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4 mai 2008

Imprimantes et convivialité

Mon entreprise a eu une nouvelle idée pour recréer la convivialité au travail, menacée par les derniers avatars du management moderne, prime de performance ou d'objectif à tous les niveaux de la hiérarchie, même pour les sans grade, intimidation, pression morale et j'en passe : implanter des imprimantes-photocopieurs-scanners-noir&blanc-couleur-A3-A4-usb-messagerie réseau, avec pour corollaire la suppression des imprimantes personnelles. Bien évidemment, cela ne fonctionne pas comme attendu, positivons, pas encore. Je ne suis pas objectif, bien évidemment est de trop, je suis totalement partisan en présupposant l'échec du déploiement – quel joli mot, importé du dictionnaire jargon-français des technico-commerciaux qui ont vendu leurs produits à la société qui m'emploie – de cette solution technique. Mais c'est un fait : ça ne marche pas. Ou très mal. Et cela n'étonne personne dans la boite. En effet, nous sommes frappés collectivement d'un mal qui se généralise : l'entreprise veut tout pour rien ; des résultats impératifs sans les moyens idoines ; des performances de sprinteurs avec deux jambes de bois. Ça ne marche pas. Pour le moment, les nouvelles machines restent de gros, de très gros presse-papier, pas pratiques, trop gros, avec des fils qui traînent, entravent les mouvements et dérangent tout sur le bureau.

De temps en temps, malgré tout, un quidam, un peu plus curieux que les autres, un peu technophile, un peu provocateur – tu vois, j'avais raison, ça marche pas ! - approche d'un des nouveaux machins – qui ne nous comprennent pas – circonspect, prudent ou dubitatif, et tente d'utiliser une des myriades de fonctions disponibles. J'exagère un peu, c'est vrai, myriade est un peu fort, mais le courageux commercial, venu quelques semaines auparavant, nous avait tant vanté les les mérites de ses machines, avec force démonstration et promesses, sur les incroyables capacités et fonctions proposées par ces merveilles technologiques, que j'étais sûr de me voir offrir un café et des croissants pendant la réalisation des travaux demandés, vous verrez, qu'il disait. Voici donc l'intrépide face à la machine – oui, l'intrépide réfléchit après l'erreur – il introduit la page à reproduire dans l'engin, et appuie sur le gros bouton vert, comme avant, avant la révolution technologique. Entrez votre identifiant, lui envoie la machine sur son petit écran tactile – première épreuve. Lequel ? Quelques secondes de réflexion le conduisent à essayer celui de son ordinateur, il n'y a pas plusieurs réseau dans l'usine. Taper cet identifiant sur l'écran virtuel de l'écran tactile – deuxième épreuve. Validation. Entrez votre mot de passe – troisième épreuve. Bien, pas de problème, le même que celui de mon PC. Validation. Et que croyez-vous qu'il arrive ? Rien. Ou plutôt pas ce qui est attendu, c'est à dire une photocopie : une erreur système ! Incroyable ! D'autres ont essayé, et nous avons constaté avec effarement la variété d'erreurs que peuvent produire ces machines : erreur réseau, erreur système non prêt, erreur d'identification, et même erreur d'impression (c'est un comble !), erreur, erreur, erreur...

C'est la mauvaise volonté évidente et farouche de ces machines qui finalement recrée du lien entre les personnes : quand, passant dans un couloir pour quelque raison que ce soit – parfois même pour tenter de réduire une machine à l'obéissance – je rencontre une personne désemparée face à une bécane récalcitrante, je m'approche avec délicatesse – comme quand on visite un parent malade à l'hôpital et que l'on pousse la porte de sa chambre en tendant la tête en avant et en marchant sur la pointe des pieds pour ne pas casser les œufs dont le sol est pavé – et propose mon oreille compatissante et mon aide. Assez rapidement, une troisième personne ajoute sa bonne volonté à nos deux découragements, puis une quatrième bonne âme complète le groupe. Il arrive que jusqu'à six ou sept personnes assaillent le monstre moderne de leurs tentatives désespérées, pauvres guerriers ridicules au pied de la citadelle maléfique. Alors, les conversations, d'abord occupées par ces maudites imprimantes, se dispersent sur d'autres sujets beaucoup moins professionnels : les vacances à venir, la première dent du petit dernier, les travaux de la salle de bain, les beaux-parents qui, hélas, viennent le week-end prochain, la retraite dans deux mois... Les gens se racontent, se parlent, se découvrent, se redécouvrent aussi.

Il est certain qu'une solution technique sera trouvée et appliquée, au grand soulagement de quelques chefs sourcilleux, à l'évidence agacés de ces attroupements nouveaux de salariés inoccupés. Il reste que, par la force des choses, les personnels de toute nature, chefs, sous-chefs, secrétaires, techniciens manœuvre, ouvriers, se rencontrent autour de ce nouvel autel. Et comme une cafetière n'est jamais loin, et qu'il reste toujours quelques gâteaux et viennoiseries du séminaire des financiers de la veille ou de la formation des cadres du matin, la messe de cette nouvelle liturgie est dite. Au nom du dividende, des stock-options et du saint profit. Nikkei.

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