Ha ! C'est trop !

L’autre soir, après avoir regardé un excellent film sur une chaîne du service public qui commence à l’heure sans pub ni au début ni au milieu ni à la fin, j’ai zappé par pure habitude et désœuvrement, conditionné que je suis à explorer bêtement les autres chaînes avant d’éteindre la boite à cerveau disponible, comme le mien après deux heures de sevrage publicitaire, et je tombe – le terme n’est pas trop fort, je suis tombé de stupéfaction devant ce que j’ai vu – sur une pôve dame qui avait l’air très malheureux, inquiète mon pôve monsieur pour les jours futurs et dépitée des jours passés, que son mari fait du chômage partiel et que la crise c’est dur et le salaire il est moins gros et comment je vais payer les études des enfants et pourquoi je devrais faire des sacrifices alors que les riches y en font pas c’est trop dur et trop injuste pleurait dans sa soupe le caliméro en jupon. Ha ! C’en est trop ! C’est insupportable ! J’ai aussitôt éteint la boite à connerie. J’peux pas. J’peux pas ! Je ne peux pas voir ça sans avoir envie de jeter ma pantoufle – ouais c’est à la mode mais c’est moins classe qu’une chaussure, et j’ai que ça sous la main à c’t’heure-là – à la tête de miss chouineuse, mais je me retiens, j’veux pas abimer ma téloche.
Qu’est-ce que j’en ai à faire de ses malheurs à celle-là ? Je ne suis pas insensible, mais pourquoi me montrer combien la vie est dure pour mes contemporains et concitoyens ? J’ai déjà tout ce qu’il me faut pour déprimer autour de moi, la famille, ha la famille, la famille c’est parfois morose, et dans ma boite c’est pas rose non plus, la flexibilité est prônée en nirvana managérial qui nous sauvera tous – la belle aubaine que cette crise – on travaillera quand ça arrangera le patron en faisant plein d’heures supp pas payées grâce à l’annualisation du temps de travail, et on restera à la maison à mi-salaire quand il n’aura plus besoin de nous, on entend les plans sociaux ramper dans les alentours, le couteau entre les dents, prêts à nous sauter dessus et nous trancher la gorge – la belle aubaine que cette crise-là, mais je crois que je l’ai déjà dit, mais c’est tellement vrai que je peux vraiment le redire – et la méfiance, le chacun pour soi, tout les réflexes protectionnistes dont nos gouvernants se défendent jouent à fond entre les salariés, chacun défend son frigo et son bout de plage en été, c’est bien normal me direz-vous !
Combien de temps ils – les journalistes, les manipulateurs, les prédicateurs, les catastrophistes, les vendeurs de malheur, les angoisseurs publics, les laisseurs au fond du trou, les appuyeurs sur la tête, les profiteurs de crise, tu choisis ce que tu veux chère lectrice, cher lecteur, tu peux même tout prendre – leur a fallu pour l’amener, cette brave mère de famille, à pleurer en direct devant une caméra, mais pas à pleurer en cascade lacrymale, juste quelques larmes aux bords des yeux et quelques unes qui coulent sur les joues, avec le menton qui tremble et la tête détournée juste ce qu’il faut mais pas trop pour qu’on voit les yeux rougis mais quand même donner le change du respect de la douleur ?
Pourquoi nous montrer cela ? Nous vivons tous la même situation, la crise, oui la crise, la criiiiise, nous frappe tous. Il semble qu’ils – tu te souviens des « ils » de tout à l’heure, c’est les mêmes, plus leurs chefs, plus leurs grands chefs – veulent nous voir déprimer, et rester dans cet état, disponibles, voire désireux, à accepter toutes les « réformes » du stroumpf grognon qui nous dirige, rester comme des veaux à regarder à la télé le malheur des autres, le même que le nôtre pourtant, mais ça rassure de voir que nous ne sommes pas seuls à souffrir, et puis aussi qu’est-ce qu’on aime se faire du mal, voir les autres souffrir comme nous, du voyeurisme réflexif, on se voit à travers les autres, on aime se voir souffrir en direct à la télé. Catharsis télévisuelle. C’est formidable !

Comments

[eve]

allez , il vaut mieux revoir "la crise" le film de Coline Serreau, qui avait tout prévu avec pas mal de lucidité et d'avance sur nos chers politiciens et journalistes qui, soi-disant, n'ont rien vu venir, comme si la crise était une fulgurance....

[Karine]

De mon côté, le 4 c'était l'anniversiare de mon grand, avec un GROS gâteau à la maison, et la veille au soir, c'était Fame en amoureux... alors, pas de déprime chez nous !
J'préfère tes coups de gueules un peu moins moroses...
Biz

[freddy lorraine]

pour l'éducation de tes lecteurs:
vous savez ce qu'il fait quand il a regardé des C...s à la télé et qu'il n'a pas le moral? une bonne bataille de polochons avec sa douce. Gratuit et ça remonte le moral!

[Blandine]

Mais non, déprime pas :
y'a encore LA NOUVELLE STAR !!!... (et ses karaokés poilants)